Une journée dans la vie d'une nomade
La vraie vie, pas les trucs Instagrammables
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Vous avez entendu parler de la Vanlife et des nomades numériques ? Vous êtes assis là dans votre fauteuil préféré et vous aussi rêvez de tout abandonner pour prendre la route avec presque rien à votre nom. Et oui, je vous ai parlé moi aussi de la vie merveilleuse que je vis, j’ai contribué à vos rêveries. Vous avez sûrement entendu parler de la "Vrai Vanlife", ces publications qui tournent pour démentir les photos insta, pour vous faire rire. Heureusement, la vraie vie n'est tout de même pas faite que de catastrophes et de toilettes qui fuient. Il y a les jours intermédiaires, où ce n'est pas le bonheur bleu des caraïbes, ni la chiasse marron foncé non plus. Il y a des jours où des bâtons se mettent dans les roues de vos plans parfaits et où vous trouvez le moyen de les retirer. Et ça, c'est plutôt satisfaisant.
J'ai eu une journée comme ça récemment et j'ai pensé qu'elle valait la peine d'être partagée. Lorsque les choses ne vont pas dans votre sens, changez de direction et tout finira peut-être par s'arranger. Après tout, le bambou qui se plie résiste mieux aux intempéries que le baton trop rigide..
L'objectif était de quitter le continent européen et de me rendre sur la magnifique petite île de Jersey. Non, il ne s'agissait pas d'un séjour idyllique pour les vacances d'été, mais malheureusement d'assister à l’enterrement d'un membre de ma famille.
Mercredi : Je me suis arrêtée chez de chères amies en traversant la Normandie et je passais la matinée à travailler sur mon ordinateur portable dans leur cuisine. Comme je ne peux jamais refuser une offre de rester dejeuner, je n'ai fait mes adieux qu’en début d'après-midi, après avoir décidé de visiter la batterie de la Seconde Guerre mondiale à Grandcamp Maisy, à seulement 30 minutes de route. Après tout, mon ferry pour Jersey n'était que le vendredi matin, ce qui me laissait toute la journée de jeudi pour parcourir les 100 derniers kilomètres et me préparer. J'avais vraiment hâte de visiter cette batterie allemande, découverte 60 ans après la fin de la guerre par le plus grand des hasards... Autant faire un peu de tourisme et, avec un peu de chance, me baigner dans la mer ?
J'ai réglé mon GPS sur la petite place de la ville, censée être un bon emplacement pour les camping-cars d’après l'application Park4Night. Juste au cas où cet emplacement serait complet, comme c'est encore l'été et qu'il y a beaucoup de vacanciers, j'ai fixé une deuxième destination dans les environs : on n'a généralement pas le temps de faire une toute nouvelle recherche en profondeur s'il n'y a pas de place pour se garer et que d'autres véhicules sont derrière vous...
J'étais loin de me douter que Grandcamp Maisy est une toute petite ville côtière aux ruelles étroites. Bien sûr, le parking minuscule était déjà plein de campeurs. Je me suis faufilé entre de hauts murs pour y arriver et j'ai dû continuer mon chemin, traversant la promenade du front de mer et le centre-ville bordé de boutiques. Etant à vélo ou dans une petite voiture, ce ne serait qu'un inconvénient. Mais imaginez-vous négocier les tables de cafés, les enfants en bas âge sur leurs tricycles accompagnés de grands-mères au regard tranchant, au volant d'une boîte de conserve de trois tonnes, large de deux mètres, haute de trois et longue de six et demi... Dans la chaleur de l'été, le dos dégoulinant, forçant un sourire du genre désolée-je-n’ai-pas-fait-exprès sous vos lunettes de soleil rouges...
J'ai enfin atteint le petit supermarché juste à l'extérieur de la ville - je me suis garée sur deux places, pris une grande inspiration et décidé qu'aujourd'hui était un bon jour pour me laisser tenter par une bouteille de rosé bien fraîche. J’aurais deux soirées pour la finir, avant de partir - pas que j'aie l'habitude de boire toute seule. Je suis donc allé faire juste assez de courses pour ce soir et demain - une salade, un poivron rouge et cette bouteille de rosé. Mais j'avais perdu tout mon enthousiasme pour cette ville, alors plantée sur le bitume j’ai cherché un autre endroit où passer la nuit. J'ai opté pour un grand parking près d'une grande plage de sable qui ne devrait pas être trop fréquentée. Utah Beach, l'une des célèbres plages du débarquement. Je suis partie, résignée, la musique à fond, hop c'est reparti, encore 35 minutes de bonheur au volant.
Vingt-cinq minutes plus tard, j'admirais la campagne normande qui se déroulait le long de cette route étroite et fraichement refaite menant à cette fameuse plage, et mon téléphone sonna. Je n'aime pas parler au téléphone pendant que je conduis, mais mon téléphone ne sonne jamais, alors j'ai répondu. J’entendais à peine la dame à l'autre bout du fil - jusqu'à ce que je réalise qu'elle me disait que mon ferry de vendredi allait être annulé à cause d'une tempête et qu'il n'y en aurait pas d'autre avant une semaine, et que j'allais manquer l’enterrement ! À moins que je ne prenne celui de demain matin ! C’est à peine si elle m’a entendu dire "si ! si ! je le prends, merci beaucoup".
Et voilà, en un clin d’œil, changement de programme. Tout à coup, panique, car je m'étais laissé un tas de choses à faire le lendemain qu’il allait falloir faire ce soir. Comme traverser toute la péninsule, et l'après-midi était déjà bien avancée. Sur cette étroite route de campagne pas moyen de faire demi-tour avec mon gros paquebot, je dois donc continuer à rouler pendant dix minutes jusqu'à Utah Beach. Lorsque j'arrive, je vois des foules de touristes venus visiter le musée et les sites commémoratifs - j’aurais dû y penser, bien sûr, cette année c’est le 80ème anniversaire de l’événement, il y a du monde par ici.... du coup, je n'aurais même pas passé une nuit tranquille sur cette plage...
L'idée était de mettre Gus le Bus en pension dans un camping près du port de ferry pendant deux semaines. Je ne peux pas l'emmener à Jersey parce qu'il faut prouver que l'on séjourne bien dans un camping sur place, à £35 la nuit, avant de pouvoir prendre le ferry à Saint-Malo. Jersey est tout petit et on ne peut donc pas se garer n'importe où. De toute façon, je loge en famille, alors ça aurait été peine perdue. J'ai choisi le ferry de Carteret cette fois-ci parce que le billet piéton est moins cher, et le camping en ville est également moins cher que celui de Saint-Malo. En même temps, c'est toujours bien de faire les choses différemment. Et puis, c'est ici que mes parents se sont rencontrés, au début des années 70, ma mère travaillant comme hôtesse sur le ferry Les Deux Léopards et mon père dans l'équipe de terre à Gorey, côté Jersey.
J'avais déjà négocié avec le propriétaire du camping et obtenu un demi-tarif pour être juste garée sans utiliser les services, à mon grand soulagement. Mais là il faut que j'arrive avant la fermeture de l’accueil pour qu’on m’attribue une place, car le ferry part tôt demain matin. Alors, depuis le parking d'Utah Beach, je leur ai envoyé un email, et prévenu mes tantes et cousins pour qu'ils m'attendent un jour plus tôt, puis j'ai repris la route dans la direction opposée.
Je dois encore acheter une nouvelle bouteille de propane pour avoir la tranquillité d'esprit que mon réfrigérateur restera allumé pendant les deux semaines, mais bien sûr je laisse toujours cela à la dernière minute et tout d'un coup c'est déjà la onzième heure. Dommage que je n'en ai pas acheté une au petit supermarché. Mais je devrais trouver sur la route de Carteret. Oui, je vois bien un ou deux panneaux sur la route, mais je me dis que non, je vais attendre d'arriver en ville. Et quand j'arrive au grand supermarché à l'extérieur de la ville, devinez quoi - il n'y en a plus. Je me précipite à la station-service voisine, et il n'y en a plus non plus. Je me résigne donc, au risque de trouver des condiments pourris et des légumes décongelés à mon retour...
La pétillante réceptionniste rousse était sur le point de fermer et n'avait pas été informée de mon accord avec le propriétaire, mais elle a gracieusement accepté ma parole et ma carte de crédit, ouf ! Une chose de faite. Elle m'a demandé de lui laisser mes clés au cas où une tempête nécessiterait le déplacement de Gus. Je m’empresse donc de faire la vidange des sanitaires et de trouver un bon emplacement sans arbre susceptible de tomber, avant qu'elle ne s'en aille. Et je découvre qu'ils vendent du gaz ! Je suis donc retournée à la réception avec Gus, et installé avec la réceptionniste une lourde bouteille dans son petit emplacement sous la fenêtre du passager. Elle a sauté dans le véhicule avec moi et on est retourné au spot que j’avais repéré, où je lui ai finalement donné mes clés et souhaité une bonne soirée !
Je venais de faire assez de courses pour deux jours… je n'allais tout de même pas gâcher tout ça ? alors j’ai vite entamé ce rosé et fait une soupe avec toutes mes tomates, le reste du taboulé et tout le sachet de salade. J'ai mis les carottes râpées et le poivron rouge au congélateur, en espérant qu'ils survivent ce traitement. Ma soirée fut très joyeuse grâce à la boisson rose mélangée à tout le jus d'orange qu'il me restait. Je m'inquiétais un peu de l’effet de cette concoction sur la preparation de mes bagages… il fallait prévoir pour toutes les météos et, surtout, ne pas oublier tout mon matériel d'enregistrement afin de pouvoir travailler depuis Jersey. En espérant que je n'ai pas chanté trop fort avec la musique qui jouait dans mes oreilles... J'ai quand même fini par tout faire et sombrer dans un sommeil agité...
Jeudi : réveil très matinal à 7h, avec un inexplicable mal de crane ... Juste le temps de préparer trois gros sandwiches avec le reste de ma sauce piment maison, du fromage de chèvre et du camembert. Le reste du pain est allé au congélateur et le fromage dans mes bagages. J'avais prévu de pique-niquer en attendant le bateau, car il paraît qu'on est moins sujet au mal de mer quand on a l'estomac plein - et pas de liquides, disait ma mère. J'ai donc décidé d’abandonner ma bouteille d'eau et d'emporter à sa place le cidre breton pour l'offrir à mon oncle.
Je n'avais pas réalisé à quel point le terminal du ferry était loin. J'ai progressé plus lentement que prévu, alourdi par mes bagages peux commodes, me demandant si mon butin de fromage, de chocolat écolo et de cidre n'allait pas être confisqué par la douane... Heureusement, il y avait beaucoup de voyageurs journaliers dans la file d'attente, le double en fait, si tous les gens du vendredi partaient aujourd'hui, comme moi - mon retard est donc passé inaperçu. Et j'ai encore eu de la chance quand les douaniers, pour une raison ou une autre, n'ont pas vérifié mes sacs alors qu'ils avaient ouvert tous ceux qui m'avaient précédé !
Je suis fière de pouvoir dire que je n'ai pas ressenti un seul soupçon de mal de mer pendant l'heure et demie passée à bord de ce bateau à grande vitesse, qui sautait de haut en bas sur les grosses vagues gonflées par le vent, pendant que j’écoutais ce vieux pêcheur français assis à côté de moi raconter les histoires de ses merveilleux voyages sur l'île dans sa jeunesse...
Je suis arrivée à Jersey le sourire aux lèvres, postée sur la terrace les cheveux au vent. J'ai salué ma tante qui nous observait approcher depuis le quai, prête à passer deux semaines restoratives, en famille.
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